Au delà de la vitre

J’ai commencé cette série en 2005 lors d’un voyage en Californie : j’ai photographié un immeuble de Chinatown à San Francisco à travers une vitre salle et cette image ne m'a plus quittée ; je l’ai mise à part dans ma photothèque. Récement j’ai du beaucoup utiliser les transports en commun à Paris et l’idée de cette technique m’est revenue. J’ai prolongé la réflexion à partir d’un texte de Bernard Noël : « Le regard traverse la vitre sans la voir. Si vous prenez conscience de la vitre et du fait que, dans le regard, elle intercale une épaisseur, vous découvrez aussi l’épaisseur transparente qu’englobe le regard et qui le constitue…La vitre, qui tantôt se nie et tantôt s’affirme dans sa transparence, fait coexister contradictoirement en elle un espace semblable à celui du regard avec un espace semblable à celui dans lequel les yeux  déversent le regard. Ainsi, la Vitre est un espace intérieur et un espace extérieur. Devant elle, on en vient à se dire ; le visible n’est-il pas du mental virtuel?» Bernard Noel ,Le journal du regard, 1988, POL

Faut-il en conclure que la vitre propre, parfaitement transparente est la « transparence niée » alors que la vitre sale, mouillée, embuée, rayée représente  « la transparence affirmée » ? En fait la prise de vue à travers une transparence partielle fait que le regard se porte au-delà de ce premier plan qui, malgré sa transparence, représente une matière. De plus le reflet de ce qui existe derrière le regard de l’observateur ramène, comme dans un miroir, un plan réfléchi qu’il est parfois difficile de situer : devant, derrière ? La vitre devient donc un second plan qui porte en elle-même un premier plan. Cela introduit une confusion entre  le l’objet réel et l’objet réfléchi, un décalage de la perception. L’observateur éprouve une perte de ses repères, un moment de flou de la pensée ; la perception de la réalité est remaniée. Bernard Noel poursuit sur cette idée : «  Qu’est-ce que la réalité? Entre la pensée qui se demande ce qu’est la réalité et la réalité elle—même, il y a le Visible. La pensée incorpore le visible puis le restitue à la réalité sous la forme d’un objet mental. Cet objet, surtout s’il s’agit d’une image, ressemble à ce qui arrive à la réalité en nous ».